Le patrimoine professionnel du conjoint entrepreneur

Le patrimoine professionnel du conjoint entrepreneur

La loi du 14 février 2022 a créé le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel. Désormais, ce dernier dispose d’un patrimoine personnel et d'un patrimoine professionnel. Pour nous les juristes, il s’agit d’une révolution par rapport de la théorie de l’universalité du patrimoine.

 Il n’est donc plus nécessaire de créer une société pour procéder à la scission entre le patrimoine professionnel et personnel. Le statut de l’EIRL (entrepreneur individuel à responsabilité limitée) est désormais abrogé.

L’objectif évident de cette nouveauté est de cantonner les actions des créanciers de l’entrepreneur aux biens du patrimoine professionnel et de protéger ainsi le patrimoine personnel de celui-ci.

Inversement, les créanciers personnels ne pourraient saisir les biens affectés au patrimoine professionnel.

Cette mini révolution juridique a, toutefois, oublié de préciser son articulation avec les régimes matrimoniaux des entrepreneurs mariés.

Les questions sont donc nombreuses lorsque l’entrepreneur est marié sous le régime légal de la communauté ou lorsque le patrimoine professionnel est composé de biens communs ou indivis.

1) En effet, il y aura une multiplication des masses : chaque époux aura 2 patrimoines (professionnel et personnel) si les deux sont entrepreneur, et de plus il y aura un patrimoine commun ou indivis en fonction de leur régime.

Les choses peuvent encore se compliquer lorsque le même bien fait partie de deux patrimoines professionnels.

2) Au sujet de la gestion des biens, l’article L 526-26 du code de commerce réserve expressément les pouvoirs des époux d’administrer leurs biens communs et en disposer. En clair, le passage d’un bien commun au patrimoine professionnel de l’entrepreneur ne nécessite nullement le consentement du conjoint.

De plus, les règles du régime matrimonial prévues par le code civil, s’applique sans aucune restriction, même si le bien se trouve dans le patrimoine professionnel du conjoint. Surprenant ! En clair, le conjoint de l’entrepreneur pourra administrer le bien comme il l'entend même s’il se trouve dans le patrimoine professionnel de ce dernier.

3) La protection du patrimoine professionnel est assurée par une étanchéité entre le patrimoine personnel et professionnel. A ce titre, l’entrepreneur ne peut porter caution pour le patrimoine professionnel avec son patrimoine personnel.

 

Allons maintenant regarder de près les caractéristiques de ce nouveau patrimoine créé. Bien entendu, il s’agit d’une universalité, clairement, il est traité comme un bien. Ce constat ne sera pas neutre eu égard les régimes matrimoniaux.

5) Tout d’abord, le patrimoine professionnel en tant que bien, il serait un propre ou un bien commun ? Rien n’est précisé dans la loi.

A vrai dire, il y a des arguments juridiques pour l’une comme pour l’autre théorie. On pourrait soutenir qu’il s’agit d’un bien commun s’il est créé durant le mariage sous le régime légal.

Il est également permis de considérer le patrimoine professionnel comme un bien propre par nature puisqu’il est rattaché à l’activité professionnelle. Néanmoins, l’article 1404 al. 2 du code civil, qui consacre la notion de l’instrument de travail, ne semble concerner que les biens corporels ou incorporels.

Bien entendu, la qualification de bien propre du titre n’empêchera pas que la valeur de ce patrimoine reste commune.

6) La qualification propre du titre aurait des avantages importants, savoir : l’entrepreneur aura un pouvoir de gestion exclusif sur son patrimoine professionnel et la qualification de bien propre évitera des problèmes de partage dans le cadre de la dissolution de la communauté.

Mais, la qualification de bien propre conduira aussi à des situations difficilement envisageables. Par exemple, l’entrepreneur pourrait modifier les masses du régime matrimonial en affectant un bien commun à son patrimoine professionnel qui deviendrait alors un bien propre dans l'hypothèse où le patrimoine professionnel serait propre.

7) En vertu de l’article L 526-27 du code de commerce, l’entrepreneur peut vendre son patrimoine professionnel ou faire donation sans procéder à la liquidation de celui-ci, toutefois, le pouvoir de le faire seul ou pas dépendra de la qualification propre ou commune du patrimoine.

8) Enfin, s’agissant de la question à la contribution de la dette, il est à noter que la dette personnelle payée par le patrimoine professionnel ne permettra pas à l’entrepreneur de faire des compensations entre ses deux patrimoines. En clair, l'entrepreneur ne pourra pas se rembourser lui-même.

En conclusion, cette nouveauté juridique réservera des surprises pour les entrepreneurs mariés sous le régime de la communauté. Il faudra probablement attendre la jurisprudence pour voir clair.

 

 

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